Philippe Cognée
La matière remuée
28 mai / 26 novembre 2017
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La matière remuée
28 mai / 26 novembre 2017
Sous le commissariat de Philippe Piguet, l’exposition présente une quarantaine d’œuvres, peintures et sculptures, couvrant toute la période des années 2000.
Artiste singulier, Philippe Cognée mélange des pigments à de la cire fondue, utilise ce médium pour peindre son sujet puis il recouvre la toile d’un film rhodoïd qu’il chauffe à son tour. Par cette technique picturale originale, devenue sa signature, l’artiste souligne l’ambiguïté du visible dans des représentations lumineuses, troubles et troublantes, où le sujet est absorbé dans la matière pour atteindre une forme de dissolution du réel.
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L’art de Philippe Cognée est ainsi requis par l’universel et conjugue en un même et unique tout, origine et devenir, ordre et chaos, vie et mort. Pour faire advenir ses images, l’artiste s’invente des protocoles très divers : qu’il s’agisse d’écraser le fusain en surface du papier sur lequel il travaille ou d’utiliser de la poudre à teinture pour vêtement qu’il fait pénétrer dans le papier photographique par pulvérisation d’eau « spray », l’humidité agissant. Philippe Cognée s’est toujours intéressé à créer sa propre « cuisine » en écho, somme toute mémorable, à cette culture dont il est issu et qui a une propension irrépressible pour la matière. Son œuvre est à voir autant qu’à toucher pour mieux en appréhender la qualité de présence qui la fonde. La metexis versus la mimesis, en quelque sorte. L’être contre le paraître.
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Pour Cognée, l’autoportrait est le prétexte à exprimer d’abord et avant tout une posture bien plus que toute analyse psychologique. Il est surtout l’occasion pour le peintre de poser la question de l’incarné en peinture. Comment rendre compte d’un corps vivant ? Comment suggérer qu’une matière puisse être à l’égal d’une masse de chair ? Cognée se représente volontiers nu, sans aucune retenue. Nu comme un ver parce que le ver est chair, qu’il est viande à l’état premier. Dans l’un des nombreux entretiens qu’ils ont eus, Francis Bacon confie à David Sylvester : « J’ai toujours été touché par les images relatives aux abattoirs et à la viande, et pour moi elles sont liées étroitement à tout ce qu’est la crucifixion. » Philippe Cognée pourrait très bien reprendre cette formule à son compte, toute référence religieuse gardée. Elle est celle d’un peintre, d’un homme de la matière. C’est ce qu’il est aussi, le peintre, l’homme de la matière remuée. Ce n’est pas l’enveloppe qui l’intéresse, ni l’apparence, mais l’intime, l’essence même de l’être.
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Par cette articulation entre une peinture qui ne cesse de se faire et se défaire, des images qui apparaissent pour mieux disparaitre et empruntent autant au répertoire de la peinture classique qu’au registre des médias les plus actuels, Philippe Cognée donne une des réponses les plus fortes et convaincantes aux questions que pose le XXIème siècle. Du local au global, des réminiscences du passé aux énigmes du présent, du doute généralisé qui saisit nos sociétés à l’heure où les sciences et les technologies n’ont jamais été aussi avancées, bref, de ce réel balisé et insaisissable, le peintre brosse un portrait fascinant. Avec une matière riche, faite d’arrachements et de plis, de coulures, de bavures, de glaçures, il restitue toute l’ambiguïté d’un visible en mouvement permanent. rien n’est fixé, rien n’est figé, tout se meut et se transforme sous le regard captivé du spectateur. « La vie est là », semble dire l’artiste, aussi belle qu’inquiétante, et seule la peinture peut en restituer la sombre densité et l’insoutenable légèreté.